Quelques Textes de Pascal Pithois
1987-1996

Réalités virtuelles et variations supersoniques au soupirail de l'harmonie.

Les spirales végétales. Le mythe du front polaire. La métallurgie des poudres. Le mal des vitraux. L'érosion des grandes plaines. Les cobayes humains. Les miroirs acoustiques. Le coeur des comètes. La guerre de la viande. Le sauvetage des manuscrits. Le voyage des protéines. L'invariance conforme. Les abstractions lascives. Les corps acides. L'état granulaire. Le champ sauvage des souvenirs interdits. Les métaphores oscillatoires. Les totems de l'ère du temps. Sous l'écho des pipos électroniques des charmeurs d'idéaux, aux environs des strates externes de l'enveloppe quotidienne, imminents, les magiciens affleurent. Gardiens des géométries ludiques, émoussant la crête des ordres précaires, bouleversant d'élans follets le cours statique des éventualités, transformant le verbe pieux en une cacophonie de chair fondue. Pulvérisant le mur du sens, grognant, grinçant, s'accordant aux gazouillis gélatineux des limbes de la pensée pour accoucher de virulentes rumeurs organiques en transit incertain vers des articulations phonétiques, ils tonitruent au gré des flux obscurs. Révolte hirsute. Ceux dont je parle ne sont que mouvement, continuité, proximité et connivence. Ils ont oublié l'histoire chronologie des présomptions humaines. Leur temps se dresse à l'équerre du renoncement douillet où les espoirs croupissent, de la convenance légumière, de l'intrigue blafarde et mesquine, de la docilité sociale, du conformisme obscène et moral où le respect soumis se souille à l'adresse de chefs, de flics ou d'une fange mercantilement immonde. Chacals à la charogne des permanences et des vérités qui s'assassinent, ils se nourrissent des éjections gazeuses aux pustules venimeuses des sociétés infectées. Ils se délivrent des bonheurs prescrits par décoctions d'extases fortuites, survolent d'innocence les visions abjectes des reptations politiques et des voracités sectaires, planent, vaporeux au ciel noir, prophètes des âges dynamiques, bouffons sattellisés au vide absolu. Créatures éthérées face à la masse inouïe de toutes les vanités, ils sont les plumes outremer des écharpes d'Iris. Astronefs enchantés qui s'arrachent des paradis aux sols contaminés pour s'arrimer au plan des frissonnements infinis. Lutins volutes habités du secret des elfes, les pages du palais lingual ont une peau de velours.

Pascal Pithois 1996

blabla barbar

Avant-trou pédagogique à l'exposition de la Machine à Manger la Chair.

J'ai conscience de l'irrationnelle audace qui guide ma démarche, ici, devant vous. Je me représente, à Babylone, le prophète Daniel - à ne pas confondre avec Saint Daniel qui demeura, par mortification, durant plus de trente ans au sommet d'une colonne - à ne pas confondre lui-même, avec Daniel Buren qui fit décorer la cour du Palais Royal avec plus de trente colonnes - je me représente donc, à Babylone, le prophète Daniel s'engageant dans la fosse aux lions mangeurs de chair, soumis à sa foi et tel une marionnette, aux ficelles d'un logos salvateur. La marionnette n'est-elle pas une statuette de la Vierge Marie ? Vierge dont on célèbre, le 15 de ce mois-ci, la mise en orbite géostationnaire ; c'est un anniversaire plus influent dans ma lunette, que le french bicentenaire de la prise du pouvoir par la bourgeoisie. Il faudra bien un jour les raccourcir, ces crétins ! ...Enfin, je pénètre malgré tout. Sans scaphandre, je saute dans le vide. Vous aussi, mais débarrassés de vos architectures archiétanches et de votre fatras de vieux sécateurs. Car en effet, ce vide que l'on agitait tel un spectre de la mort au nez des déviants, pour les raccrocher comme des moules terrorisées aux ficelles de la modernité... ce vide n'est pas vide ! Les morts me comprendront, il y a là le terrain d'une extraordinaire aventure. Il faudra bâtir des ponts entre les discours, entre les lacis codés des spécialisations intellectuelles, et découvrir l'espace qui les relie.

Alors bien sûr, mon propos ici, mon voyage, mon errance ne respectent pas les bornes, les barbelés, les enceintes fortifiées, derrière lesquels défilent en ordre les pensées hermétiques des philosophes philosophes, des scientifiques scientifiques, des analystes analystes, des poètes poètes et des artistes artistes. Bien sûr, d'aucuns agiteront encore devant moi leur spectre ; d'autant que mon discours les chatouille tous, comme une blablaphonie monochrome où s'enchevêtrent les débris de leurs manèges spirituels enfin dynamités.

Ah La pédagogie ! Devrais-je à jamais répéter ma révolution racontée aux imbéciles ? Vous comprenez ? Vous comprenez ? Vous comprenez ? Laissez-vous déstabiliser les alvéoles, venez donc faire un tour dans ma perestroïka ! Ce n'est pas du théâtre, ce n'est pas du cinéma, ce n'est pas de la peinture, ni de la sculpture, ni de la musique, ni de la littérature. La Machine à Manger la Chair, elle me la mange vraiment. Elle doit être la cousine carnivore de la Broyeuse de Chocolat. Cette exposition n'est pas une exposition, c'est un rendez-vous au cimetière des anciens rites, du travail, du sexe, de la guerre, de l'art, pour l'enterrement de l'homme moderne, le dernier avatar de l'histoire christiano-occidentale. Pour en finir à présent avec le jugement des hommes. Pour les funérailles de l'homme athée, ex-chrétien, futuro-moderniste avec son temps linéaire, historique, sans commencement ni fin. L'ensevelissement des théologues de la Mort de Dieu et des avortons préposés post-modernes qui se consensussent la broutille autour des graillons de la modernité. Nous allons pouvoir sortir de cet enfermement de la pensée dans les idéologies de ces deux derniers siècles. Mais il faut que toutes ces idées voyagent. Ecoutez Michel Giroud, la grande girouette de la conscience, la tête de réseau qui circule en lévitation à sept centimètres du sol avec un laser dans le cerveau, une aiguille à tricoter l'avenir. Et Charles Dreyfus. Et Antaki. Et Claude Pélieu. Et Arnaud Labelle-Rojoux. Et Michel Sohier. Et Julien Blaine. Et tous les autres. L'idée du réseau est primordiale, constitutive d'un espace de réalisation nouveau. Depuis que le verbe de l'ordre occidental tombe du ciel en déluge sur la planète entière par les bouches invulnérables des satellites missionnaires, quand la nuit je cherche les étoiles, je ne vois plus scintiller dans l'espace que ces carcasses de métal qui anéantissent d'un coup tous les espoirs des derniers peuples différents et libres. Avec l'idée de réseau, au sein même de cette société canibale, pourra renaître l'esprit de toutes les tribus qu'on s'efforce d'anéantir, pour qu'une vie demeure possible dans ce désert de vanité, pour que la honte épargne peut-être quelques uns d'entre nous, pour donner un peu de conscience à cette machine à laver qui rince l'humanité de ses génocides.

Je vagabonde dans la clarté d'une sacralisation nouvelle de l'être autour des rites nouveaux d'une religion technologique planétaire. Attention ! Religion - religare - relier... C'est la mise en relation des fragments éparpillés, des mondes et des humanités morcelés, émiettés par ces décénies de dictature matérialiste et positiviste. En occident, nous sommes au matin d'une révolution culturelle sans précédent. Déjà des annonciateurs sont venus. Je pense à certains philosophes, je pense aussi à Joseph Beuys ou à Robert Filliou. En ce moment, un peu partout des anges construisent l'espace de cette nouvelle frontière ; je pense, ici, juste à côté à Jean-Luc André, Joël Hubaut, D.D.A.A. ou Claire Roudenko-Bertin. Leurs travaux témoignent de la même lucidité. Ils pénètrent cette religiosité technologique de demain, et loin de l'optimisme bourgeois, ils expriment ce grand espoir, cette intuitive et intense foi dans le mystère des choses qui donne la compréhension de niveaux de conscience et d'existence qu'un idéaliste matérialiste ne pourra pas même suspecter.

Un des pilliers du réductionnisme intellectuel des matérialistes est l'Histoire, le Sens de l'Histoire. Désormais l'artiste doit exclure la critique, car il ne participe plus à l'illusion historique du progrès et il n'accompagne plus l'illusion scientifique de la complexification, laquelle tient également de l'idéologie du Temps Linéaire, universaliste, totalitariste, utopiste, idéaliste, réprimant toute déviance : éducation, rééducation, médicalisation, incarcération, socialisation ou normalisation. Le progrès et la complexification ne sont ni universels, ni permanents. Ce ne sont que des phénomènes locaux, érigés en lois générales au profit d'un nouvel obscurantisme. L'artiste doit s'arroger la condition incriticable et péremptoire de "repère", c'est-à-dire référence et rêve-errance et père à nouveau, comme le font avec leurs constructions les artistes bruts, les artistes enfants ou les artistes psychiatrisés qui, tous, échappent à l'historisation et sont la conscience totale, brute en effet. La culture de l'homme est son lien le plus fort à la nature. Son intelligence et son esprit sont les outils de sa participation à l'existence du cosmos. Son intelligence et son esprit font de l'homme un animal parmi les animaux. L'homme est d'une matière ordinaire et l'artiste est l'homme le plus ordinaire qui soit. C'est l'homme hyper-ordinaire, l'homme moyen, celui que la vanité persécute. C'est l'Homo Mixus, l'homme synthétique qui présente comme caractéristiques les caractéristiques mélangées de tous les hommes. L'Homo Mixus est un axis mundi. Chaque artiste est un axis mundi pour nous tuteurer l'échine, pour nous tenir debout. L'épreuve artistique est intensément chamanique, il faudra faire franchir au visiteur le trou de l'aiguille. L'Homo Mixus annonce la fin de l'anthropocentrisme, la fin du pouvoir conscient et inconscient des hommes sur les hommes et sur le monde matériel, et l'avènement d'une sorte de bio-informatique qui concentrera, dans une structure technologique mère, l'héritage, le savoir, la recherche, l'application, ainsi que l'ordre social. Imaginez la maîtrise du modèle génétique, appliquée technologiquement à la gestion de la mémoire des hommes, au traitement des informations et à leurs transmissions. Imaginez également la maîtrise du modèle génétique, attribuant à cette structure technologique mère, non seulement le pouvoir de régulation sociale de l'humanité, mais aussi le pouvoir de régulation écologique de l'évolution biologique de la matière ; vous aurez ainsi la mesure et la démesure de la révolution en marche.

D'ors et déjà, les artistes annonciateurs s'engagent à définir le rôle de l'expression poétique dans ce système, et par conséquent le rôle de l'artiste dans la société. Manifestement, le très officiel art contemporain, lui, a tranché pour un artisanat de luxe, son marché ayant découvert les perspectives avantageuses d'un créneau commercial populaire, soutenu médiatiquement par l'étalage et l'exaltation des charmes bourgeois de la peinture. Docile, le gros du troupeau accompagne aujourd'hui l'art vers ce nouvel artisanat ! Les autres, pour lesquels la consommabilité de l'oeuvre est moins essentielle, s'offrent alors en seuls véhicules de la spiritualité contemporaine. Notez désormais cette différence fondamentale entre les artistes contemporains, (peintres, sculpteurs, performeurs, installateurs, musiciens, vidéastes, danseurs, comédiens, écrivains, chanteurs, disons les créatifs, vendus ou invendus) et les poètes transfigurateurs, chamans subhistoriques illuminés bien au-delà des spécialités et des disciplines. La valorisation et la manipulation des savoir-faire sont vouées à l'obscurité et ne tiennent désormais que de l'exotisme folklorique. Notez encore une autre divergence fondamentale, elle déborde largement le cadre restreint du milieu artistique, et se situe cette fois en nous-mêmes. Elle oppose les tendances "expressionnelle" et " conceptualiste" qui nous gouvernent et nous orientent. L'intelligence "expressionnelle" est l'étape première, la fondation de notre architecture de pensée. Elle est pure, naïve, enfantine. L'esprit "expressionnel" se manifeste dans la spontanéïté, une dépendance vis-à-vis des impulsions du corps et des sentiments. C'est en s'adressant à cette intelligence, par la dramatisation médiatique de la réalité, que les pouvoirs démocratiques tiennent en laisse leurs citoyens, utilisant, pour les plus culturalisés d'entre vous, cet effet de catharsis relevé par Aristote en 333 avant Jesus Christ. Certains hommes dépassent cette compréhension pure du monde. Par la force des brisures, des blessures, des fractures qui révèlent l'incapacité de leur pureté à défendre l'intégrité de leur âme, ces hommes, chassés de l'enfance, développent une intelligence "conceptualiste" qui vise la maîtrise et le contrôle du corps pour l'établissement de relations de l'ordre de la conscience avec le cosmos. Ce sont ces hommes translucides les seuls vrais artistes, les seuls vrais poètes, les seules vraies lumières capables de nous épargner l'anéantissement et de réaliser le Grand Oeuvre, la survivance pour l'espèce entière et pour la vie.

Ah Ah ! Ca vous épate ? Voilà comme une certaine certitude ! C'est con, mais je ne supporte pas la confusion, le nivellement, la mélasse du moindre effort cérébral qui nourrit les larves, le couci-couça convenu qui nous livre au désastre. Malheureusement, trop d'esprits "conceptualistes" restent encore prudemment pendus aux baleines schématiques des jupes "expressionnelles". En fait la révolution qui se prépare réclame la libération "conceptualiste" totale ; la luxure ascétique ; la souffrance du corps dont l'esprit prend possession. Je reconnais le péril antibiotique des aspirations humaines. Je renie toute l'ineptie "expressionnelle". Je rejette toute déité et toute déification. Je collabore à la désintégration des matérialismes. Je récuse la rectitude obtuse comme signe de l'honnêteté intellectuelle. Je macère dans une rigueur hyperboloïde. Je répudie même les principes humanistes ancrés dans le gouffre de ma sentimentalité, car les droits des humains vont être engloutis dans le naufrage de leur utopie égalitariste et anthropocentrique. C'est l'harmonie ondulatoire qui chasse le droit et l'autorité démocratique. Je refuse la restauration des valeurs séculaires qu'entreprend la post-modernité dans son grand compromis hétérogène. Enfin je proclame le paradoxe de l'unité métisse. Je suis dans la pleine complexité, non pas la confusion, mais la complexe plénitude. Plongé dans le bain à remous de la langue de lait dentée, j'embrasse les principes généraux et particuliers. Je découvre moi-même de jour en jour les multitudes de filiations générées par la Machine à Manger la Chair. Elle fonctionne comme une mémoire artificielle, une chaîne de modems dans un réseau de supports à supraconductivité, pour une télétransmission instantanée du flux continuel des interconnexions émergentes, entrelacées à l'infini. Mais je ne veux pas soupçonner une interprétation, une vision privilégiée de la Machine. C'est très simplement la machine de vie, celle qui mange ma chair, bien avant que ne le fasse la traditionnelle pierre plate et sarcophage que l'on déposera sur mon corps pour achever le repas.

Vous avez deviné, il n'est pas question ici d'un vague jeu formel qui, au hasard des spontanéïtés et des gesticulations, révèlerait au regard de l'analyste les subtilités plus ou moins archétypales d'une pensée enfantine. Je n'ai plus aucune spontanéïté, je contrôle mon intuition, quant à ma gestualité, elle n'est guère plus expressive qu'un robot d'une chaîne de montage automobile. Déjà je me bio-informatise. Je vis en stimulant dans mon esprit la fermentation de quatre types de données. Les intuitives, naissant d'un travail complexe de concentration, de rencontres, de repos, de labeur ménager, de rêverie, de détente, de voyages, d'exercices alcooliques ou stupéfiants. Les documentaires, extraites de mon héritage, de mes archives et d'une quête insatiable d'informations de tous ordres. Les expérimentales, issues d'un acharnement besogneux de laborantin. Et les réflexives, nourries de la réalisation de chaque dispositif de transmission de cette pensée, et dérivées de la confrontation entre le travail en situation de réalité et l'esprit des visiteurs.

Par mon refus d'une passive espérance, ma pensée existe. Je sais où elle est. Et les sens de mes mots, dans leur grande multiplicité, ont effacé à jamais l'image d'une possible destination. Vous comprenez ?

Pascal Pithois 1989

Lettre à tous les français

S'il convenait hier d'être vigilant pour garder toute lucidité face aux tentatives démocratiques d'asphyxie de l'esprit libre et de la pensée poétique : campagnes d'assimilation des domaines de la recherche fondamentale où s'exercent les intelligences les plus pointues et des domaines du divertissement et du marketing où se prélassent des foules d'esprits langoureux et soumis, campagnes de vidangeage aseptique par l'économie, la politique et le discours, de toutes les formes connues de l'expression poétique jusqu'à gommer aux yeux du plus grand nombre leurs pouvoirs, naturels et surnaturels affranchis des valeurs de cette société, campagnes d'énucléation, campagnes de nivellement, campagnes d'invasion, campagnes d'occupation des dernières aires de liberté par une armée d'usurpateurs sans esprit, de clones parfaitement assujettis ; il convient aujourd'hui de prendre les armes, de se réunir partout stratégiquement en groupes terroristes et pirates pour harceler sans cesse cet ordre rampant, ce totalitarisme larvé dont les manifestations s'amplifient de jour en jour. Car désormais la démagogie a pris le pas sur la démocratie. Quand les démocrates en France parlent de démocratie directe et de l'instauration de référendums d'initiative populaire alors qu'un parti fasciste reconnu et respecté vient de conquérir en peu de temps un potentiel de trente pour cent des électeurs français, moi je cours chez l'armurier, je décroche mon bazooka de la cheminée, je m'équipe en fusils lance-grenades et pistolets mitrailleurs et j'encourage à faire de même tous ceux qui ont pu conserver un peu de lucidité. Il convient donc de s'organiser de façon urgente en commandos efficaces et déterminés. C'est dans cet esprit que DETECTRON change aujourd'hui de structure. DETECTRON était depuis un an une entreprise de vigilance explorant de nouveaux types de rapports à la création ; elle devient une association de combat regroupant des énergies particulières, insoumises et rebelles autour de moyens logistiques illusoires pour des actions non-conformes et anti-prestigieuses, pour la diffusion la plus large d'une propagande dérisoire, médiatique et militante en vue d'une manipulation éhontée du Système décadent et de l'Histoire obsolète. DETECTRON met son âme au service de la clarification des attitudes face aux pollutions du Fog Culturel International. Nous avons décidé d'agir selon des critères de priorités et d'urgences afin de faire valoir nos parti-pris essentiels dans la continuité de nos pratiques personnelles, de notre engagement solitaire, et de désigner quelques grands dangers que présentent pour l'intelligence et la vie :

• un certain mixage pluri-culturel qui prend la forme d'un multisectarisme et non d'un multisyncrétisme, au sens éthnologique ;
• le décervelage de l'art au profit des réflexes de l'esthétique, du savoir-faire et du commerce ; par une vulgarisation grossière, un recrutement effréné de "jeunes talents" propres à former sur la base de principes des plus réactionnaires le vulgum pecus de l'art (de vulgus "foule" et pecus "troupeau") ;
• la pédagogie malsaine de trop d'aigris arrogants dont les ambitions s'amenuisent avec le temps ;
• la manipulation politique, insidieuse, méthodique, intensive, des pratiques et des évènements culturels ;
• la manipulation politique du langage et des images vers une banalisation confuse des concepts et l'encencement de notions aussi indécentes et pernicieuses que le prestige national, régional ou même strictement local ;
• l'abandon quasi-général des âmes de la poésie aux tentations de l'égoïsme, de l'orgueil et de la complaisance ;
• la renonciation progressive au renoncement et à l'engagement ;
• la léthargie, la léthargie, la léthargie et pire encore : la soumission aux manoeuvres démagogiques des pouvoirs économiques et de leurs valets politiques qui entendent renforcer leur contrôle des prospections intellectuelles en gouvernant les manifestations de la pensée poétique après s'être déjà rendus maîtres des domaines de la science et de la technologie.

Voici en exemple quelques jalons sur la voie de la clarification. Et suivant ces repères, il apparaît comme une urgence première de participer au minage du microcosme culturel repu de principes, de certitudes et de vérités inertes. Artistes, critiques, marchands, fonctionnaires ; le milieu de l'art est un conglomérat de sous-ensembles sectaires, un ramassis de petites structures hiérarchiques, manipulables à souhaits, auxquelles se cramponnent des myriades d'individus mutilés, desquelles, trop rarement, parvient à s'échapper un ange. Ces enchevêtrements fangeux d'ordres partisans, forment un labyrinthe qui fourmille d'hommes-troncs rongés jusqu'au bassin par un cannibalisme féroce. De tous les milieux sociaux, ils s'amoncellent par dizaines chaque jour. Mi-charognards et mi-charognes, tous ces gastropodes de l'art, culbutos inamovibles aux anus dilatés, révèlent en diarrhées glaireuses la couleur profonde de leur être. C'est dans cette mare infectée que sont pratiqués, aujourd'hui encore, la culture de l'institution et le culte du progrès, par une armée de succédanés d'intellectuels qui éructent, le nez dans leur fiente, toujours les mêmes principes, toujours le même ordre esthétique, se communiquant leurs petites pensées liquides tels des vasques en circuit fermé. Il n'est rien de plus ridicule que d'entendre ces mouches agonisantes se bombinner dans le cul et se gloser d'elles-mêmes, répendant leurs mortelles moisissures sur les murs de leurs chapelles. Il n'est rien de plus dangereux que ces individus cultivés et polis qui nourrissent de leur putréfaction les artistes de demain, les oisillons piailleurs et contaminés qui espèrent tirer profit de leurs précoces giclées séminales, agglutinés au tout-à-l'égout de la conformité. C'est déconcertant à quel point les jeunes artistes manifestent le désir d'être jugés, corrigés et ensuite reconnus avec toujours, au fin fond de leur être, une petite âme puérile prête à s'émouvoir au moindre compliment, pour la moindre gloriole. Et si l'art avait à voir avec les plaisirs féconds de la découverte et de l'invention, que seraient tous ces gens sans esprit, sans finesse, sans caractère qui revendiquent infatués la grandeur de leur art en rampant dans les dédales d'un ordre social qui les méprise ? L'ordre démocratique trouve un grand intérêt à promouvoir cette mascarade culturelle. L'ordre démocratique aime la confusion conformisante. L'ordre démocratique convie toutes les petites révoltes individuelles à venir se diluer dans la fosse commune de l'art contemporain. Mais il n'y a rien qui ait la moindre vigueur ; aucune trace de la moindre énergie ! Il ne reste que les rognures obscènes d'une pensée prolétaro-petite-bourgeoise pour les soutenir dans leur naufrage. Ils sont tous là, petits ouvriers de la culture, petits professionnels du pinceau, du burin, de la plume, du tutu et de la baguette ; et les responsables aussi, les directeurs, les délégués, les conseillers, les attachés ; tous englués dans leur bourbier poisseux. Avec leur séduction vulgaire, ce sont les derniers pantins de notre petite civilisation qui traînent derrière eux leur glaire cervicale. L'artiste est surtout bavard et quand vous l'écoutez, enflé à l'ombre de son génie, il pousse de sa gorge un petit hoquet d'extase, un petit gloussement béat. L'artiste est terriblement seul avec son oeuvre. Aujourd'hui ce sont des centaines et des centaines d'artistes qui répendent en miaulements insoutenables leur esprit putassier et stupide. DETECTRON méprise votre commerce trivial dans les latrines de la société, pourvu que le bruit de vos vanités, comme des bottes de vos maîtres, n'empêche pas les âmes radieuses des anges de poursuivre, sereines, le survol sublime du cloaque où vous croupissez et qui bientôt vous engloutira !

DETECTRON tentera de sauver de l'art contemporain quelques manifestations d'âmes libres. Dans le respect total de chacune, DETECTRON Novae renaîtra au firmament des folies furieuses, agitées et chroniques, avec une liberté aussi vive dans la possession du pouvoir de réaliser ce que nous voulons, que dans l'expression de notre volonté de faire ce que nous pouvons.

Pascal Pithois 1988

Vous avez dit abstrait ?

Pascal Pithois répond à trois questions posées par Pascale Cassagnau à l'occasion de l'exposition "Vous avez dit abstrait ?" au Centre Culturel de Cherbourg en 1987.

1 - Comment vous situez-vous par rapport à l'intitulé de l'exposition ?
2 - Pour vous, qu'est-ce que l'abstraction ?
3 - Ne pensez-vous pas qu'il y ait des passages ou glissements possibles entre figuration et abstraction ?

Le tonnerre le plus intense n'a jamais fait tomber la foudre. Ce que l'on attendra de moi, en tant qu'artiste, ne sera jamais de passer un dernier vernis sur les schémas archaïques des esprits horizontaux, totalement anti-dynamiques. En d'autres termes et en d'autres sens, je m'élève. Il ne m'appartient pas de répondre aux questions, je m'efforcerai modestement de les comprendre.

Pour cela, j'appréhenderai de façon globale les notions auxquelles vous faites référence. Dans l'ouvrage de Wilhelm Worringer "Abstraction et Einfühlung", paru en 1908, qui annonce une première justification de la forme abstraite sur le plan de l'esthétique ; je note l'expression d'une totale opposition entre l'état de communion de l'être humain avec le monde extérieur, image d'un équilibre spirituel (notion d'Einfühlung) et l'état d'angoisse de l'homme écrasé par la puissance des dieux ou par l'incertitude de sa propre existence et trouvant refuge dans l'abstraction comme seule transcendance possible du réel.

Sur le plan pictural, et à la même époque, les théories chromatiques des post-impressionnistes, ainsi que les modifications profondes qu'ils apportent à la structure du tableau, auraient préparé l'apparition de l'art abstrait. C'est aujourd'hui la vision commune et commode que donnent de l'incertitude les partisans de l'historisation systématique.

Aussi Cézanne Finit-il Par Entrevoir La Pureté Géométrique Comme Une Possibilité d'Accomplissement De La Peinture, La Conduisant Droit Au Cubisme.

Des années 1910, on conserve sommairement la trace de trois pionniers de la peinture abstraite : Malevitch futur chef suprématiste, Mondrian futur chef néo-plasticiste et Kandinsky simple artiste.

Même s'il est exact que ce soit principalement ces trois artistes qui assument l'abstraction comme un total engagement à la fois esthétique et moral (leurs nombreux écrits en témoignent), en fait, depuis 1910, de nombreux peintres touchent l'abstraction, y glissent, en reviennent, y retournent ; Arthur Dove aux Etats-Unis, en Russie Larionov et Gontcharova chefs rayonnistes, Léger et Delaunay en France, puis Villon, Klee, Carrà, etc...

Après 1920 la forme abstraite atteint son apogée, elle commence à se manifester dans l'architecture, la décoration, l'ameublement, la typographie, les arts graphiques. Notons simplement comme importants promoteurs de l'art abstrait à cette époque, Mondrian et Van Doesburg avec la revue De Stijl, les avant-gardes officielles soviétiques de Tatline, Gabo et Pevsner chefs constructivistes, la revue Lef, El Lissitsky et puis surtout le Bauhaus qui restera comme l'explosion synthétique de l'expression abstraite.

Enfin vers 1930, c'est l'art abstrait tout entier qui glisse vers le nouveau concept d'art concret. C'est en avril 1930 qu'est publié le premier et dernier numéro de la revue Art Concret de Van Doesburg par laquelle ces artistes rendent désormais manifeste l'impertinence de l'ancienne dichotomie abstraction / figuration.

Cet état de fait datant de soixante ans à ce jour, ne sera nullement remis en cause, ni par l'abstraction des géomètres dont Vasarely est le porte-fanion, ni par l'abstraction spasmodique et redondante des Mathieu, Hartung, Soulages, etc..., ni par l'abstraction calligraphique, ni par l'abstraction informelle de Wols, ni par l'action painting et les drippers, ni par le tachisme, ni surtout par les expériences abstractoïdes des Viera Da Silva, Manessier, Bazaine ou d'un Rothko, ou d'un Klein.

Il appartiendra maintenant aux futurs rhétoriqueurs systématiciens d'infirmer l'abstractivité de l'art minimal, de l'art conceptuel, de support-surface, de la nouvelle sculpture, du graffiti, du néo-expressionnisme, du purisme, du verticalisme, du cyclisme, des néo-cubistes, des néo-futuristes, des post-réalistes, des sub-épidémik, des trompétistes et des néo-sidaïques de la future académie royale du Cirque Divers ; avec toute ma sympathique compatissance.

Pascal Pithois 1987