cARTed Series n.206 - avril 2006 - Yvetot

"Ceci n'est pas un scoop, ni un chapeau, ni un Magritte, mais événement surréaliste oblige, soyons immodestes pour un soir, enfilons tous la panoplie prétentieuse de nos pensées, car nous avons la joie, je dirais même plus l'insigne honneur, la galerie Parisienne Christian Desbois et moi-même, misérable et humble orateur, serviteur du grand architecte de l'univers, de recevoir dans cette "enceinte stéréo" devenue légendaire "avec le temps", comme Léo Ferré l'a si bien chanté, de re-recevoir me répéterais-je à nouveau, José Antonio Muñoz dit "Rrossé" de provenance Argentine, dessinateur peu recommandable pour certains (l'aiment chaud) car profondément atypique, déraciné volontaire, sorte d'Alain Bombard des algues et autres encres noires et bilieuses au trait solitaire/solidaire qui a évité le pire en quittant son pays qui chavire en péril, gangréné par un abcés lancinant et purulant appelé fascisme rampant et naissant, dictature qui plombera l'Argentine de 1976 à 1983, dans une junte veule, sournoise, conduite par des colonels au régime sans sel et bientôt un général sordide du nom de Vidéla, sorte d'alter ego du "Pinochio Chilien" qui sévissait dans l'appart d'à côté, militaire qui comme tout militaire graveleux et sinistre, homme franchement ouvert à la fermeture... éclair, Videla dis-je, qui répétons le haut et fort ne te vida pas! Mais que ce fut le choix douloureux d'un homme seul face à son destin, anticipant le pire avenir funeste d'un regard plein de justesse, désarroi, d'homme blessé, portant en lui-même le besoin de "consolation impossible à rassasier", affligé par tant de non dit, qui ne porta pas le statut officiel d'exilé, mais ton départ, cher "muñosse" au début des années 70 pour des problèmes individuels tournera pour toi et bien d'autres une page extrémement douloureuse à jamais, adieu à l'enfance, toi porténo (habitant de Buenos Aires) au coeur si sensible, représentant de par ton oeuvre future si bien le combat sans fin des opprimés et désoeuvrés Argentins! Tu te fis aider en cette tâche universelle qui est ce combat graphique de l'inutile, fait de noirceurs mélancoliques et d'expressionnisme abstrait et figuratif par ta rencontre avec un autre exilé volontaire, (Carlos Sampayo, ton futur scénariste et complice) qui fit naufrage dans ce bourbier cauchemardesque paranoïaque ibérique, qu'était à l'époque l'Espagne de Franco, autre maitre absolu d'une junte vraiment sanglante, alors que paradoxe oblige, vous veniez de quitter l'un et l'autre cette dictature commençante, sorte de gangrène envahissante et invisible, plombant lentement mais inexorablement la lumière "Bleue Tango" propre à Buenos Aires ; à Barcelone, ton impression première fut grise et pesante dés ton arrivée, comme si toute junte imprimait d'elle même un climat froid et glacial digne de nos morgues nationales. Réunis à Barcelone, vous étiez comme deux combattants inertes et paralysés d'effroi, redresseurs de torts sincères et redresseurs d'âmes imaginaires, à travers cet exil intérieur qui allait faire naitre de vos complicités fraternelles communes, Alack Sinner, ex flic, détective privé de profession, promenant son blues dans les bas fonds de New-York où se croiseront tous les paumés, déracinés d'un monde interlope désenchanté à l'extrème de par ses souffrances quotidiennes. Sinner est profond, nostalgique, il a juste ce qu'il faut à un mélancolique révant d'un monde meilleur où justice et égalité seraient les seuls mots à penser ; Alack Sinner est au dela tous les superlatifs ou poncifs, un personnage nous donnant une leçon difficile de liberté, une belle rêverie utopiste, un vrai régal Argentin qussi excitant visuellement que l'écoute d'un tango de Carlos Gardel. Ta singularité, c'est la puissance graphique de tes dessins, avec ces applats mi abstraits, mi figuratifs, ces climats proches d'un Murnau ou d'un Fritz Lang où l'obscurité prend jour à la lumière, telle l'immense puissance que m'avait procuré bien des années auparavant ma découverte de l'un de tes maitres impressionnant de force, Alberto Breccia, Uruguayen de naissance, Argentin d'adoption et son "Mort Cinder", ancien criminel ayant vécu plusieurs vies, et possédant de vastes connaissances scientifiques, sorte de Mabuse de la BD expressionniste Argentine, BD parue à l'époque aux éditions du Serg pour la première fois et qui allait brutaliser positivement, notre regard figé d'Européen aveugle au monde qui l'entoure ; ta collaboration dés l'âge de dix-huit ans avec Hector German Oesthereld maitre penseur de l'écriture, allait enrichir d'une façon définitive ton vocabulaire graphique et pictural, comme Hugo Pratt dont tu suivis les cours dispensés de l'Escuala Panamericana de Arte de Buenos Aires. Oh! j'anecdotise mon discours, je ne me rapelle que de mon essentiel à moi, ce que je veux retenir de ces deuxhéros "de papier et de coeur", que sont Sampayo et toi même, sortes de Don Quichotte et Sancho Pança des temps modernes, avec cette fraternité dérisoire qui vous habitent, ce refus d'être soumis quotidiennement à des pensées médiocres qui autant qu'une dictature libérale, envahissent les envies consommatrices et futiles de nos contemporains * z'égoutier des arts, dégouté des arts kitscheens qu'imposent notre époque, cul-terreux, laisse moi tendre mon grand verre Duchampien et t'offrir en guise de remerciement ce regard signé qui est le tien à travers ce nom gravé à la pointe de l'épée avec un M qui veut dire Muñoz, tel le cavalier noir de notre enfance qui surgit hors de la nuit et qui arrive en cheval au galop, toi notre Zorro/héros et Sampayo alias Bernardo, "muet" par son absence physique mais prolifique et terriblement efficace par ses scénarios * mais cela ne sera pas notre hymne final comme vous le pensiez tous, et nous nous quitterons sur ce cri qui te tiens à coeur : "De Gaulle/Perone, un solo corazon"... etc (à répéter trois fois) Fin" - D.S. alias "le Terreux" ; texte écrit début janvier 2006

carte postale de Didier Serplet

DIDIER SERPLET

REGARD POUR MUÑOZ
D.S. 2006 - "Autour de Muñoz, venez prendre un verre samedi 14 janvier 2006 à partir de 17 heures. A cette occasion Didier Serplet lui remettra son regard".

Galerie Christian Desbois
Design : tcharpentier.com
Photos recto / verso Jean Pol Stercq